Ecoutons bio
A chaque nuit étoilée, et autre été des étoiles filantes, nous rappelons avec un certain fatalisme, le phénomène inéluctable de pollution lumineuse qui gagne peu à peu du terrain sur nos campagnes (pour les villes c’est déjà trop tard). La part des endroits de France sans lampadaire se réduisant chaque année comme la peau de chagrin, avec pour conséquence (entre autre) de ne plus pouvoir observer les étoiles sans être perturbé par les lumières artificielles, sans compter la gêne permanente et autrement plus grave pour la faune et la flore.
Cette introduction lumineuse (pardon) nous amène à également nous pencher sur une situation analogue qui concerne cette fois le son.
Promenons-nous dans les bois
Ou posons la question autrement, est-il possible en France, en 2024, d’écouter des sons au naturel ? Nous entendons par là, l’écoute seule d’un ou plusieurs sons naturels sans que ceux-ci soient parasités par d’autres sons, disons produits par l’homme. Vous allez me dire qu’il suffit pour cela, de se promener dans les bois, de traverser un champ ou emprunter un chemin montagneux près de chez soi.
Or même en campagne, si vous avez une impression de silence et le sentiment d’entendre pleinement le chant d’un rouge-gorge, celui-ci sera à coup sûr interrompu au bout de quelques minutes.
Bernie Krause est un musicologue américain qui est à l’origine du terme « biophonie » et a contribué à définir le concept d’écologie du paysage sonore. Ce chercheur stipulait que le critère d’ambiance sonore « non polluée » se situerait à une durée de plus de 20 minutes d’écoute sans parasitage sonore.
A ce jour, il n’existerait plus en France d’endroit où l’on puisse écouter des sons au naturel sans une pointe de cacophonie humaine dans le paysage sonore. En 1970, il fallait dix heures d’enregistrement pour isoler une heure de grande valeur sonore. En 2024, il en faut aujourd’hui mille.
Le Reuz s’est prêté, il y a longtemps, à l’expérience au pied du Mont-Blanc. En réel, une balade dans la nature, des prises de son, on capte l’ambiance, le vent, les cris d’oiseaux, nous enregistrons « bio », tout va bien. Nous ne percevons que le son de la nature. De retour en studio, nous avons écouté au casque l’ensemble des sons enregistrés. Et le résultat fût implacable : au bout de quelques longues minutes, nous entendîmes à une très faible fréquence, là un avion, ici un son d’hélicoptère, une percussion, une activité humaine, un trafic…
Qu’il serait agréable et fascinant de pouvoir proposer de vivre une expérience d’écoute de sons bio ; en lieu et place, nous assistons impuissant à la disparition programmée de notre écosystème sonore où l’activité humaine est l’unique responsable. Quand les phénomènes ne sont pas audibles et qu’ils sont sans impact « visible » sur notre environnement, alors ils n’existent pas.